La Salamandre 2003 Julien Perrot

Portrait
Le magicien du crayon

Légende photo:
" A ceux qui souhaitent dessiner mais n'osent pas, déçus par le résultat, je dis que le principal est d'avoir plaisir à dessiner. Quelques lignes, même maladroites, seront pleines du souvenir du bon moment passé devant le sujet, quitte à rajouter des commentaires et prendre une photo en plus!"

Légende dessin:
La martre, montée sur ressort, passe vers la droite, revient, saute comme un renard en chasse, repart aussitot, gaspillant son énergie par ce temps de neige!   Champagne, 22 février 1996

 

Un brocard dans le bois enneigé. Le papier trop fin se mouille et gondole aux flocons qui tombent, mais ce n'est pas grave, il y a la tension du dessin à faire en urgence et en plus il ne fait pas chaud. Champagne, 23 février 1996


Prolonger sur le papier la magie d¹une observation, partager grâce à une aquarelle l¹émotion d¹une rencontre, tel est le bonheur de Jean Chevallier.
Une tour d¹observation ornithologique se dresse dans la banlieue. De loin, on dirait un banal HLM coincé entre l¹aéroport d¹Orly et un échangeur autoroutier. Qui pourrait imaginer qu¹au 11e étage de cette tour de verre et de béton perdue dans la grisaille parisienne se tient jumelles à la main un observateur attentif?
C¹est pourtant ici, à Fresnes, que se trouve l¹atelier de Jean Chevallier. Un homme au regard pétillant, aux yeux incroyablement vifs. «Regardez, un crécerelle!» dit-il en désignant au loin un petit point qui survole à vive allure une bretelle d¹autoroute. «Il y a dix minutes, c¹est un faucon hobereau qui est passé juste devant mon atelier.»

S¹évader
Jean Chevallier, naturaliste hors pair, habite et travaille paradoxalement au coeur d¹une jungle artificielle. «C¹est un choix familial qui ne me pèse pas trop car je peux m¹évader aussi souvent que je le souhaite dans les Alpes, le Jura ou à la côte.» Les observations de terrain nourrissent le travail de cet artiste et nécessitent évidemment des séjours répétés en pleine nature, en France le plus souvent. Sa femme et ses trois filles, sans être naturalistes, sont trés sensibles à la vie animale. Le recueil d'une pipistrelle blessée fait leur bonheur, tout comme l'observation des blaireaux un soir.


Trésors de papier
Quand le peintre demeure perché dans sa tour, c¹est qu¹il met de l¹ordre à ses notes ou qu¹il réalise des illustrations de commande. Son atelier désordonné abrite un extraordinaire trésor: dans chaque tiroir, dans chaque cartable vivent une multitude de bêtes de papier, ici une compagnie de grues, là un muscardin aux yeux interrogateurs, là encore un cerf écumant d¹amour. Crayon, pastel, aquarelle, Jean est un magicien qui fige en quelques traits sûrs le mouvement d¹un instant.
«Je dessinais déjà petit, comme tous les enfants. Mais je n'ai jamais abandonné ce plaisir.» A travers le dessin, Jean Chevallier prolonge et partage l¹émotion de ses observations souvent fugitives.

Premier carnet
Et pourquoi la nature? Parce que Jean est fasciné depuis toujours par les animaux, par la vie sauvage. C¹est une attirance innée, un cadeau de la vie. A neuf ans déjà, il inaugurait un premier cahier d¹observation fruit de ses balades dans le Parc des Sceaux. «Cahier fondé le 29 décembre 1970. A 13 h, vol d¹étourneaux venant du nord et allant vers le sud. A 13 h 15, il revient du sud et part vers le nord...» Au début uniquement descriptives, souvent longues et fastidieuses listes d¹espèces, les notes du naturaliste vont devenir plus personnelles au fil des années. 0000

Dehors
Entre les heures de classes, puis pendant ses études à l'université,
Jean passe 00 tellement de temps au Parc des Sceaux qu¹il fini par en être 00 gardien. Mais peut-on garder quand on ne songe qu¹à regarder? Au bout d¹une année, il est remercié. Il se décide alors à tenter de vivre de ses images.000
Au début, comme pour tant d¹autres naturalistes, ce sont surtout les oiseaux qui l'ont attirés, 000 plus faciles à observer que les mammifères. «Je n¹avais pas encore développé ma patience pour supporter de longs affûts et puis, quand j¹étais gamin, on ne m¹aurait jamais laissé rôder dans les bois en pleine nuit.»
Peu à peu, c¹est précisément la difficulté de l¹observation des mammifères qui va attirer Jean, conforté dans cette passion marginale par les écrits de Robert Hainard. 000 La rencontre avec le mammifère est toujours un miracle hasardeux. Et puis, son intelligence permet une riche palette d¹attitudes et de comportements, un rêve pour le dessinateur.

L¹ours et le lérotin
Si Jean Chevallier avoue tout-de-même un faible pour les carnivores, il a le même plaisir à observer toutes les bêtes y compris les plus modestes, que ce soit des tritons au bord d¹un étang ou les mouchoirs délicats d¹un papillon de nuit attiré par un lampadaire. Cet amoureux de la vie sauvage n¹hésite pas à passer une nuit entière dans les dunes de Vendée pour rechercher dans le faisceau de sa lampe l¹improbable museau d¹un discret crapaud fouisseur.
Une nuit, à l' affût à l¹ours en Slovénie avec un ami, le naturaliste a entendu derrière lui un petit bruit suspect. Tant pis pour la grosse bête. Pour en avoir le coeur net , l¹artiste a passé la soirée suivante à guetter la sortie d¹un petit lérotin qui avait élu domicile à l¹arrière du mirador. Pour Jean Chevallier, le plaisir du dessin ne dépend pas de la taille du modèle. J.P.